Suis-je normale, docteur?
Normalité? Je déteste ce mot, surtout appliqué à la sexualité. Pourtant, chaque personne (les hommes comme les femmes) finit par se demander si elle est sexuellement normale. Et si nous parlions plutôt de santé sexuelle?
C’est quoi la normalité sexuelle? Généralement, nous prenons pour référence les pratiques sexuelles de la majorité. Reste à savoir si la majorité est une bonne référence en cette matière...
Voyons voir. Est-ce que la sexualité de la majorité des Québécoises du début du siècle était normale? Bien sûr, c’était une autre époque. Dans ce cas, est-il normal que la majorité (près de 80 %, selon une recherche effectuée en 2010) des Tunisiennes d’aujourd’hui soient favorables à la reconstruction chirurgicale de l’hymen avant le mariage? Mais là, nous parlons d’une autre culture. Peut-être est-il plus normal que la majorité des préadolescentes nord-américaines portent des vêtements qui les hyper-sexualisent? Évidemment, il s’agit d’une autre génération. Bref, le problème avec la normalité sexuelle, c’est qu’il n’y a rien de plus changeant!
De plus, j’ai cliniquement observé que le seul fait de mettre en doute notre normalité sexuelle rendait malade. En effet, derrière ce doute se profile un malaise idéal pour faire naître l’anxiété. Or celle-ci entraîne non seulement d’importantes dysfonctions sexuelles (troubles du désir, anorgasmie, paraphilies*) mais aussi de sérieuses conséquences sur la santé mentale et physique (anxiété de performance, dépression, troubles gynécologiques inexplicables, etc.).
D’un autre côté, il y a des personnes qui vivent avec des maladies physiques ou mentales qui altèrent leur sexualité, directement ou à cause des médicaments utilisés, avec pour conséquences des troubles sexuels chroniques, parfois irréversibles.
* Comportements sexuels considérés comme déviants.Ce qui fait le plus souffrir dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas tant la maladie ou le trouble en eux-mêmes que le fait de se sentir anormal, incompétent et impuissant à changer. Trois sentiments lourds à porter sur le plan de la sexualité humaine. La culpabilité qui en découle amène assez rapidement la baisse de l’estime de soi. Or, cette image négative de soi-même risque de conduire à la dépression, au repli social ou, pire, à l’éclatement de la personnalité.
Aussi faudrait-il troquer la normalité sexuelle contre les fantasmes et la santé sexuelle, un concept moins moralisateur qui porte en lui les notions de guérison du corps et de l’esprit. Travailler à notre santé sexuelle, c’est être attentifs à ce qui vient de l’intérieur de nous, tout autant qu’à notre environnement. Moins centrés sur le conformisme, nous devenons artisans de notre bien-être sexuel. D’ailleurs, ce qui contribue à la santé en général contribue aussi à la santé sexuelle et vice versa. Être en bonne santé sexuelle, c’est nous sentir bien dans notre tête, dans notre cœur et dans notre corps.
Malheureusement, certains d’entre nous souffrons sexuellement, souvent en silence. Selon mes observations, le désir de conformité sexuelle incite beaucoup trop de personnes à avoir recours au bistouri ou aux drogues. Et il conduit droit aux troubles alimentaires, à la perte du respect de soi et des autres, etc.
Et si dès aujourd’hui, au lieu de nous demander si nous sommes sexuellement normaux, si c'est ok d'avoir des fantasmes sexuels osés en cherchant une base de référence dans une «majorité» extérieure à nous-mêmes, nous sondions notre tête, notre cœur et notre corps pour évaluer notre santé sexuelle? Si nous prenions les moyens à notre disposition pour aller dans le sens du bien-être? Ne serions-nous pas en train de changer quelque chose dans nos sociétés? La notion de santé sexuelle va bien au-delà de la prévention des ITS (infections transmises sexuellement, nouveau terme mondial pour les MTS). Elle naît à l’intérieur de nous et rayonne autour de nous. Arrêtons de souffrir en silence et revendiquons notre différence... au nom de notre santé sexuelle!